
UN SYMBOLE D’HUMANITE ET D’UNIVERSALISME
L’écrivain fontenaysien Didier Daeninckx et le dessinateur Lionel Makowski signent Missak Manouchian une vie héroïque, une bande dessinée consacrée au chef de groupe de résistants d'origine arménienne fusillés par les nazis le 21 février 1944. Sa parution accompagne son entrée et celle de Mélinée son épouse, le 24 février au Panthéon.
Qu’est-ce qu’une BD sur Missak Manouchian apporte de plus qu’un livre ?
Didier Daeninckx : Il manquait ce moyen d’expression pour raconter des histoires et intéresser un public plus large que celui du livre. La Bande dessinée a toute sa légitimité. Si j’étais le jury du Prix Goncourt, je l’aurais déjà attribué à Jacques Tardi (NDLR auteur-dessinateur de la série Adèle Blanc-Sec).
Lionel Makowski (Mako) : La BD est la locomotive du monde de l’édition. Elle touche énormément de lecteurs et en particulier la jeunesse. Mais nous n’avions pas ce public spécialement en tête. Notre souci était de servir le mieux possible le texte.
Comment avez-vous procédé ?
D.D : Nous nous mettions d’accord sur le contenu de la planche. Lionel me l’envoyait une fois dessinée et je remplissais les bulles. Le gros du travail, c’est lui qui l’a abattu ! Il a dessiné sur 70 pages et moi, en proportion, j’ai écrit dix fois moins, façon ristretto. Ma tâche c’était de dire l’essentiel en peu de mots.
L.M : Didier m’avait donné le scénario complet et l’avait découpé séquence par séquence. Ensuite, je dessinais planche après planche que je lui envoyais, et on s’ajustait. On se connaît bien et savait comment avancer. Nous avons pu ainsi tenir des délais de réalisation très courts.
On ne compte plus vos collaborations depuis 1999. Qu’est-ce qui vous rapproche tant ?
D.D : Comme moi, Lionel adore travailler à partir d’images et d’archives. Il est sensible au monde ouvrier et est issu d’un milieu modeste. Au travail, c’est un acharné tranquille et précis. Il est rassurant et derrière, il y a notre amitié.
L.M : Didier est quelqu’un de très simple dans les rapports humains. Il est bavard mais son ego n’est pas surdimensionné et c’est appréciable dans un travail à deux. Comme scénariste, il a très vite intégré la contrainte des raccourcis en BD, ce qui me facilite la tâche. Si nous étions dans la Résistance, je serais son agent de liaison et lui le chef du réseau.
Connaissiez-vous l’histoire de Missak Manouchian avant de réaliser cette BD ?
D.D : Je vis avec Missak Manouchian depuis des années (NDRL : il a publié Missak, en 2009, éditions Perrin). Ça remonte à mon éducation, où j’ai habité, au milieu politique d’où je viens. Je discutais avec des témoins de l’Occupation. Gamin, j’avais été gardé par Odette Niles qui fut la petite fiancée de Guy Moquet. Jeune, j’avais lu Pages de gloire des 23, le premier livre sur les combattants des FTP-MOI fusillés au Mont-Valérien par les Allemands. Tout ça a forgé mes convictions.
L.M : Bien sûr. Et puis j’avais lu Missak, le roman de Didier. Il me parlait régulièrement de Manouchian. J’aime l’humanité du personnage. J’avais envie de réaliser un jour quelque chose, sur le résistant mais aussi le poète. Nous avons voulu mieux faire connaître cette autre face du personnage.
Qu’est-ce que Manouchian incarne pour vous ?
DD : L’esprit de résistance mais surtout l’humanité et l’amitié. Il fut prisonnier du malheur et a su s’accomplir malgré tout, par sa bravoure mais aussi contre la fatalité. Il a été pauvre, a fait mille petits métiers pour survivre, a subi le racisme en tant qu’immigré. Mais ce militant politique a toujours cherché à s’élever sur le plan intellectuel et artistique, par la poésie et aussi avec le sport. Il a appris le français et avait une grande ouverture sur les autres. L’action directe dans la Résistance n’a représenté que quelques mois. Sa mort à 38 ans a été un accident de la vie.
L.M : Pour moi qui suis d’une famille d’origine polonaise, apprendre que les autorités lui avaient refusé à deux reprises la nationalité française, qu’il s’était engagé dans l’armée en 1939 après la déclaration de guerre, et lorsqu’on sait que ce résistant étranger est mort pour la France, c’est un symbole fort d’humanité et d’universalisme.
Votre BD paraît dans un contexte où l’extrême-droite défile dans les rues comme en 1934…
D.D : Plusieurs planches parlent de la manifestation du 6 février 1934 à Paris, quand les ligues d’extrême-droite ont tenté de renverser la République. Au moment où je les recevais, des groupes défilaient à Lyon avec des slogans renvoyant à ceux d’hier. Aujourd’hui, le recul des consciences libère les pires paroles. On le voit avec la montée de l’antisémitisme, mais aussi la perte de repères sur les valeurs de laïcité. On assiste à une perte d’humanité. On est loin de l’idéal de Missak.
L.M : Je connais l’histoire et l’atmosphère des années 1930 en France avec la montée du fascisme. Nous avons travaillé connectés à la société qui nous entoure. Nous avions en tête que notre BD pouvait contribuer à lutter contre les idées extrémistes. Avec elle, nous essayons d’ouvrir les esprits. Le dessin ne peut pas tout, ni la culture, mais si on ne dessine pas, on peut imaginer que le monde serait pire.
Dédicace- rencontre
Vendredi 2 février à 17h, la librairie La Flibuste (3, rue Jean-Jacques-Rousseau) organise une dédicace-rencontre avec Didier Daeninckx et Lionel Makowski pour la parution de Missak Manouchian une vie héroïque, éditions Les Arènes BD.
Thomas Elek sur l’Affiche rouge
Thomas Elek était l’un des 23 Francs-tireurs et Partisans MOI, avec Missak Manouchian, fusillées par les nazis le 21 février 1944. Enfant, ce résistant juif hongrois mort à 20 ans avait habité rue Dalayrac où une plaque lui rend hommage. Il avait été scolarisé à l’école Jules-Ferry. Son nom figure sur la célèbre Affiche rouge, affiche de propagande allemande placardée sur les murs de Paris sous l’Occupation.