
LES PETITS COMMERCES À LA PEINE
Aussi bien sur le plan local que national, les commerces de proximité sont de plus en plus fragilisés. À quelques jours des fêtes de fin d’année, nous en avons rencontré une dizaine, à Fontenay, pour faire le point sur leur situation.
À L’ami du moulin, située avenue de la République, le ton est chaleureux : « Bonjour Marie-Christine, comment allez-vous? » Sofia, se souvient des prénoms de ses clients habitués, essentiellement des gens du quartier. Si la boulangère qui confectionne du fait maison les connait bien, c’est parce que cela fait 18 ans que sa boutique y est installée. Quand on lui demande les évolutions concernant les commerces de proximité, la réponse fuse : « On galère bien plus qu’avant! ». Ces dernières années les petits commerces, comme on les appelle, ont dû faire face à de nombreuses difficultés. Comme pour cette boulangère, en plus de l’impact de la crise covid sur son activité, « Il y a également, celle de l’énergie, la hausse des matières premières et maintenant avec la trésorerie, on vit au jour le jour ». La situation de cette commerçante est loin d’être isolée et s’étend sur toute la France. Entre 2004 et 2024, le taux de vacance moyen des magasins dans les centres villes est passé de 5,94 % à 10,85 %, selon Codata, société spécialisée dans la production de données concernant l’immobilier de commerce. Les derniers chiffres de la chambre de commerce et d’industrie de la région Paris Île-de-France révèlent un taux de vacance en légère augmentation depuis 3 ans (12,9 % contre 12,6 % en 2021) représentant aujourd’hui 23294 locaux non exploités. Récemment deux fleuristes, une installée au Village et l’autre aux Rigollots, ont dû baisser le rideau. « Même ceux situés dans les plus grands axes économiques de la ville rencontrent des difficultés », observe Yoann Ternois, manager commerces et artisanats à la direction de l’Habitat durable et solidaire. Covid, inflation, augmentation des loyers et charges, baisse du pouvoir d’achat, nouveaux modes de consommation… le petit commerce fait face à des réalités économiques parfois difficiles. Malgré souvent un investissement sans limites et parfois une motivation exemplaire, les commerçants cœurs battants des villes, sont à la peine. À Fontenay, certains nous ont ouvert leur porte pour discuter de leurs problématiques… À commencer par celle du New Berbère, situé au carrefour des Rigollots. Mourad, restaurateur dans le secteur depuis 2017, résume la situation : « Les gens consomment moins car il y a une baisse du pouvoir d’achat, alors ils réduisent les à côté. On constate une diminution de la fréquentation. Mes clients viennent du coin car pour se garer ici c’est très compliqué. Bien qu’il y ait des boutiques aux alentours qui dynamisent le passage, la promenade n’est pas très agréable. Heureusement il y a une bonne relation avec les habitants ». Si, pour la plupart des commerçants, le manque de stationnement représente un frein concernant les clients éloignés, l’accès, la visibilité et le cadre demeurent essentiels.
SE FAIRE CONNAITRE
Un peu plus loin, Tadam Club vient de fêter ses 1 an. À quelques jours des fêtes de fin d’année, Paola et Julie, deux amies associées de la boutique de jouets, sont en plein préparatifs. « Pour l’occasion nous organisons une balade avec le pâtissier Les Gourmands disent et la librairie La Flibuste, et une rencontre avec le Père Noël. Cette animation permet de proposer une expérience conviviale et de déclencher du passage en boutique », souligne Paola. « On se rend compte que des gens qui habitent la rue d’en face nous découvrent seulement aujourd’hui. Notre plus grande problématique est de nous faire connaitre. » Communiquer est un réel défi pour les commerçants, notamment pour les nouveaux arrivés. Samantha, de chez Kurama Café, passionnée du Japon, a ouvert sa mangathèque en décembre dans le quartier Jean-Zay : « Au début, j’ai galéré avec peu de fréquentation, voire des fois aucun passage de la journée. Ma cible clientèle ce sont les jeunes, et ce n’est pas évident à ces âges-là de pousser les portes d’un lieu inconnu. Petit à petit, j’ai commencé à créer une vraie communauté avec des habitués. Pour cela j’ai dû réadapter mon projet en proposant un coin snack, des animations et en développant les réseaux sociaux. »
S’ADAPTER AUX BESOINS
Un grand nombre d’entre eux tente de s’adapter aux nouveaux modes de consommation, comme le e-commerce ou les nouveaux usages, comme le télétravail. Depuis 10 ans installée au Village, Audrey de La Brique Rose, qui a reçu le prix du Meilleur commerce indépendant d’Île-de-France en 2023, propose une gazette hebdomadaire sur les réseaux sociaux. « En plus de faire du lien (Ndlr: cela a commencé durant la période covid), cette chronique me permet de mettre en avant des produits et de dynamiser les ventes du samedi. Ces dernières années on observe moins d’achats spontanés. C’est paradoxal car dans ma clientèle, il y aussi bien des gens fidèles aux petits commerces, et en même temps je constate que le relai en face est submergé de colis! Ça me donne espoir pour mon site Internet, car les ventes physiques dans la boutique ne suffisent pas. » À quelques pas, deux autres commerçants se sont lancés récemment. Lee, qui a ouvert Village Coffee en 2024, ne se lasse pas de la place des Rosettes. « Je ne pouvais rêver mieux pour ma boutique. Avant d’arriver ici, j’ai vendu mes cafés de spécialité sur les marchés de la ville durant 2 ans, ce qui m’a permis de développer ma clientèle. Celle-ci est locale et régulière, si bien que parfois je sais déjà ce que certains souhaitent déguster. » Sajia, qui cuisine maison des poké bowls à base de produits frais, n’en revient pas de l’accueil que lui ont réservé les habitants et commerçants « J’ai ouvertHoriatiki en mai dernier, le premier mois fut un succès! Il n’y a pas d’offre comme la mienne aux alentours, c’est pourquoi j’étais ravie de m’installer ici. En plus des gens du quartier, j’ai beaucoup de personnes qui travaillent ici donc je fonctionne essentiellement le midi. En cette période plus hivernale plus creuse, je m’adapte à la clientèle qui me demande parfois de cuisiner certains plats chauds comme des soupes. Même si aujourd’hui j’arrive à payer mes charges, je ne me verse pas encore de revenus. »
SITUATION ÉCONOMIQUE
De nombreux commerçants nous ont confié faire face à une réalité économique parfois difficile. « J’ai mis un an à construire le projet et obtenir mon crédit car mon concept n’est pas très connu. D’ailleurs, je suis la seule à proposer cela en banlieue. Actuellement, je ne me verse pas de salaire, et c’est compliqué niveau trésorerie mais je reste optimiste pour la suite, et motivée jusqu’au bout », précise Samantha. La plupart ne comptent ni leurs heures, ni leur investissement. « J’ai parfois des journées de 15h entre les approvisionnements, les préparations… je mange Horiatiki, je dors Horiatiki... », poursuit Sajia. Pareil pour Audrey : « Le site Internet représente un boulot de dingue, c’est pourquoi il y a 3 ans, j’ai embauché Clarisse pour m’aider car je n’avais plus de vie personnelle. » La gérante a rejoint une association de commerçants nouvellement créée, dont elle en est la trésorière. « En plus de proposer des animations communes, cela nous permet de nous sentir moins seuls et de s’entraider. » La boutique est également partenaire de la plate-forme Petitscommerces, qui regroupe une cinquantaine de commerçants à Fontenay et qui permet aux habitants de les soutenir avec des chèques-cadeau. « Trop souvent, on entend dire qu’il y a peu d’offre en ville ou que nos prix sont élevés, mais si on prend le temps de regarder, on s’aperçoit qu’il y a du choix et de la qualité à Fontenay. Il ne faut pas oublier que nos prix sont justes par rapport à la fast-fashion par exemple. De plus il y a 20 % de taxe qui ne nous appartient pas, c’est la TVA. Imaginez une ville sans petits commerces, ce serait bien triste c’est pourquoi il faut continuer de nous soutenir! », conclut Audrey.
