
LA CULTURE EN DANGER
Le désengagement croissant de l’État dans le secteur culturel mais en danger la création artistique, l’association Musiques au comptoir, comme tant d’autres, se retrouve dans la tourmente.
En ce lundi 18 novembre, nous avons rendez-vous au Comptoir pour rencontrer sa cheffe d’orchestre, Sophie Gastine. Comme d’habitude, nous sommes accueillis par le son des musiciens qui répètent dans la salle de spectacle. Ce bruit si familier du 95 de la rue Roublot est-il amené à s’étouffer, voire à complètement disparaître ? « Nous ne lâcherons pas! Notre objectif est de sauver le Comptoir. », répond d’emblée Sophie. Cependant, face aux difficultés qu’il rencontre (lire À Fontenay de novembre 2024), le lieu a dû faire un choix douloureux. « En dépit de nos multiples alertes auprès des subventionneurs, dans le contexte politique actuel de désengagement de l’État à l’égard de la culture, et de la baisse généralisée de la fréquentation des salles de spectacle vivant, malgré plusieurs années d’exercices bénéficiaires, nous faisons depuis 2023 face à un déficit structurel,explique Mme Gastine.En l’état actuel des choses, nous avons prévu que, le 31 décembre, nous allons mettre fin aux contrats des six salariés qui faisaient vivre Musiques au Comptoir car nous n’avons plus les moyens de les financer. Cela représente trois licenciements économiques, une démission, et deux départs à la retraite: Pierre Fischer (l’autre co-directeur) et moi-même. Nous allons donc revenir, comme ce fut le cas de 2002 à 2015, à une gestion entièrement bénévole. » Un choix qui s’explique par la volonté, malgré tout, de continuer à faire vivre le lieu. « Nous avons pris cette décision pour éviter la liquidation judiciaire qui aurait, notamment, entraîné la vente du matériel et aurait transformé la salle en coquille vide. Or nous souhaitons donner une chance à une passation, qu’un tel lieu puisse continuer à exister. » Dans ces conditions, que va-t-il se passer à partir du 1er janvier 2025 ? « Grâce aux dons que nous avons reçus via la cagnotte que nous avons ouverte et au soutien sans failles de la ville, nous allons pouvoir terminer la saison, répond Sophie Gastine. Mais ce sera toutefois une programmation a minima, dézinguée. Nous allons devoir faire des arbitrages et déprogrammer des artistes prévus. C’est un crève-cœur mais nous n’avons pas le choix. »
UN LIEU DE CRÉATION
Dans une lettre ouverte au ministère de la Culture, une centaine d’artistes défendent : « Au Comptoir, nous avons pu inventer, créer, risquer, s’autoriser à délivrer au public une ouverture sur le monde, sur les mondes et sur toutes les cultures musicales qui font notre société. Rien n’a été exclu, que ce soit autour des thèmes de la parité, du handicap, de la solidarité ou du combat pour défendre l’exception culturelle française de nos musiques. » Car au-delà d’être un lieu de diffusion reconnu, le Comptoir est également un lieu de création et d’accompagnement pour les artistes, de plus en plus précarisés. « Certaines coupes budgétaires se font déjà sentir sur la partie soutien et mise en visibilité des artistes émergents alors que c’est une mission qui nous tient à cœur, nous dit Vincent Munsch, co-directeur du Théâtre Halle Roublot, voisin du Comptoir. Par exemple, nous n’allons pas pouvoir reconduire en 2026 les journées professionnelles, Les plateaux marionnettes, que nous organisons traditionnellement en début d’année. »
UBERISATION DE LA CULTURE
Pour Arthur Lassaigne, chef du service Création/Diffusion de la direction des Affaires culturelles : « Nous sommes de plus en plus sollicités, la tension est de plus en plus palpable. Les compagnies ont du mal à trouver des financeurs et/ou des lieux pour créer. Elles sont souvent obligées de revoir à la baisse leurs ambitions, de reporter leurs créations dans l’espoir de trouver les financements nécessaires ou, tout simplement, d’abandonner. » Une situation qui risque d’empirer comme le craint M. Munsch : « Le secteur de la culture est particulièrement inquiet. Les collectivités, qui nous soutiennent, font face à de grandes difficultés et nous craignons les répercussions de ces coupes budgétaires sur la culture. Les premiers à souffrir sont et seront les artistes qui ne trouveront plus de coproductions, de résidences de création ou de lieux de diffusion. Nos structures assurent un service public en rendant accessible au plus grand nombre une culture la plus diverse possible. » M. Lassaigne renchérit : « Nous tirons très fort la sonnette d’alarme: il faut que les collectivités aient encore les moyens de soutenir la création artistique. Nous avons besoin que vive une culture diverse et de proximité. Il y a un vrai risque d’appauvrissement culturel. » Et Sophie Gastine de conclure : « On porte des coups de massue sur ceux qui ne sont pas "bankable", qui ne rapportent pas assez de fric au profit d’une uberisation de la culture. Mais nous ne lâcherons pas pour faire vivre la création, la multiplicité culturelle, l’émergence d’artistes et de formes nouvelles. »
[+] D’INFOS : Le comptoir