SCIPION NOUS ETAIT CONTÉ

Janvier 2024

Laurent Gohary, enseignant-historien fontenaysien depuis plus de dix ans, a récemment publié aux éditions Les Belles Lettres un ouvrage sur un personnage antique tout à la fois illustre et méconnu : Scipion l’Africain

C’est une invitation au voyage, dans l’espace-temps. « L’Histoire nous permet de sortir de nous-même et d’avoir du recul sur des situations très actuelles », observe Laurent Gohary. Une enfance en Égypte, à Alexandrie ; des études à la Sorbonne et au Canada ; une carrière d’enseignant au lycée, ainsi qu’à l’université Paris 1… Le parcours de Laurent Gohary n’est pas d’un bloc, à l’image de Scipion l’Africain, cette grande figure de la Rome Antique. « J’avais fait des recherches sur Scipion, étonné qu’il n’y ait pas eu de biographie consacrée à ce personnage, explique l’auteur. J’étais alors tombé sur un vieux manuscrit de Plutarque, mais l’on ne savait pas s’ilétait authentique ou non. J’avais échangé à ce sujet avec Jean-Louis Ferrary, qui avait dirigé ma thèse. À sa mort, cela est resté en suspens. » Des années plus tard, Laurent Gohary remit l’ouvrage sur le métier, souhaitant écrire un livre accessible pour le grand public, mais rigoureux d’un point de vue historique.

DU CONSUL PHILHELLÈNE AU HÉROS DÉCHU

« Scipion est un personnage qui semble idéaliser la République, alors qu’il a transgressé toutes les règles légales, souligne-t-il. Dans le droit romain, il y avait le cursus honorum. Or Scipion n’a pas franchi ces étapes obligatoires, il est passé d’édile à consul, sans être élu. On lui confie le pouvoir proconsulaire, lequel est ensuite prorogé. Autre transgression: bien qu’aristocrate, il démocratise l’armée, devenant ainsi très populaire au sein de la plèbe. » De plus, Scipion se singularise en ce qu’il contribue à faire de Rome un creuset, permettant la synthèse entre différentes cultures, romaine, grecque, y compris carthaginoise puisqu’il s’inspire des méthodes de guerre de son célèbre adversaire Hannibal, parvenant ainsi à le vaincre à la bataille de Zama, mettant un terme à la deuxième guerre punique (218-202 av. J.-C). Alors même que Rome à l’époque est en rejet de la culture grecque, celle-ci va s’y déployer, et la culture gréco-romaine s’y structurer sous l’influence de Scipion, comme l’explique Laurent Gohary. « Le mélange des cultures est toujours inévitable, et l’hellénisme se développe à Rome grâce à Scipion. Il a suivi des modèles grecs malgré la xénophobie de la culture romaine, d’autant plus exacerbée en temps de guerre. » Grand vainqueur d’Hannibal avant d’être rejeté et écarté du pouvoir, Scipion sera réhabilité par Cicéron, qui en fera une figure héroïque dans son traité De la République. Puis l’historiographie française du XIXe siècle, fortement influencée par Napoléon, plaça Scipion dans l’ombre d’Hannibal.

AUX SOURCES DU PASSÉ

« La première difficulté pour écrire cet ouvrage était que je ne disposais d’aucun élément sur l’enfance de Scipion. Une autre difficulté était la part de surnaturel accrochée au personnage. » Laurent Gohary utilisa toutes, ou plutôt les rares, sources connues à ce jour : Tite-Live, Polybe, Apien, Plutarque. « L’écriture de ce livre a été comme un voyage dans le temps et dans l’espace », dit-il. Et de conclure : « Il est dommage que l’histoire ancienne ne soit pas davantage enseignée. Cela permet de dépassionner les débats sur le plan historique et géopolitique. C’est faire le choix de la rationalité contre celui de l’émotion. »