UNE PRODUCTION SOUTENABLE AFFRANCHIE DU LIBRE-ÉCHANGE

Avril 2024

Ce début d’année 2024 a été marqué par le mouvement des agriculteurs, lesquels ont organisé des manifestations et des blocages pour revendiquer notamment une meilleure rémunération de leur travail. Interview de Christian Pierre, paysan travaillant avec la ville de Fontenay dans le cadre de la Coopérative Bio d’Île-de-France. 

Pouvez-vous vous présenter ? 

Je suis paysan. J’ai cultivé en conventionnel pendant vingt ans, et depuis maintenant vingt-cinq ans, je fais de la culture bio. Je produis des céréales et des légumes pour l’industrie, ainsi que des légumes destinés aux marchés du frais : tomates, courgettes, courges, pommes de terre… Et il y a dix ans, j’ai créé la Coopérative Bio d’Île-de-France [Société Coopérative d’Intérêt Collectif].

Quel est votre lien avec Fontenay-sous-Bois

Dans le cadre de la Coopérative, les tomates et les courgettes que je produis sont distribuées à Fontenay.

Avez-vous participé à la récente mobilisation des agriculteurs ? Qu’en pensez-vous ? 

Je me suis battu pendant des décennies, et aujourd’hui, j’ai besoin de me concentrer sur mon exploitation. Mais j’étais bien sûr attentif à la mobilisation. Deux sujets majeurs regroupent l’ensemble des problématiques. Tout d’abord, la concurrence déloyale, qui concerne tous les agriculteurs, tant au niveau européen qu’au niveau mondial. Cette concurrence dans l’application des normes environnementales et sociales fait des ravages. Il y a aussi une certaine surenchère environnementale à l’échelle européenne. Le cadre doit être le même dans tous les pays d’Europe. Et si on ajoute des contraintes supplémentaires, il nous faut trouver un marché pour que l’exploitation soit viable financièrement. À mon sens, le deuxième grand sujet, ce sont les contrôles administratifs. Je préférerais avoir des visites de techniciens et que l’administration soit plus dans un rôle de partenaire que dans un rôle de contrôle. Les choses se passeraient mieux sans cette tension avec l’administration. Ça manque de conseils. La sanction devrait être le dernier recours.

Au vu de la crise de l’agriculture, quelle serait pour vous la priorité ? 

Régler le problème de la concurrence. Cela passe par une forme de protectionnisme, c’est vrai, mais le libre-échange a ses limites. Il y a des fermes-usines, des élevages de milliers de poulets… Ça n’a pas sens. La haute finance domine de plus en plus la production agricole. C’est de la recherche du profit sans aucune conscience. Quand j’étais au lycée agricole, la moyenne des surfaces cultivées en Île-de-France était de 40 hectares. Aujourd’hui, les parcelles atteignent 120-130 hectares. Et il y a en plus de grandes disparités, avec des petites surfaces d’un côté et de très grandes exploitations de l’autre. La concentration des terres s’est aggravée. C’est dommage.

Aujourd’hui, quelles sont vos conditions d’existence ? 

Je réussis à vivre grâce à la production de légumes et grâce à l’interface entre les marchés locaux et la Coopérative bio d’Île-de-France. Dans les années cinquante, toutes les productions destinées à la production francilienne ont été abandonnées au profit de l’exportation. Il faut que les agriculteurs s’engagent dans la production de produits qu’on peut consommer sur place. C’est là justement l’objectif de la Coopérative Bio d’Île-de-France. Nous privilégions les petits exploitants. Nous ne voulons pas que les gros producteurs viennent en concurrence avec les maraîchers.